• Et si Poutine était légitime ?

    Le sujet est revenu sur le tapis, récemment, avec l'un de mes interlocuteurs français. Poutine, la Russie, la démocratie. Violente prise de tête. Et puis, il est réapparu aujourd'hui dans mes révisions, mémoire sur l'après-guerre froide oblige.

    Je ne suis pas un fan de Vladimir Poutine. J'ai été le premier choqué du coup de téléphone de Nicolas Sarkozy à son homologue russe fin 2007, après sa brillante -ou décrite comme telle- victoire aux législatives. Sarkozy, seul chef d'état occidental à l'avoir contacté, avait cru bon de «chaleureusement féliciter» Vladimir Poutine - la honte. Mais passer une année à l'étranger et dans un contexte multi-culturel, c'est l'occasion de se confronter à de nouvelles cultures. Et faire tomber la barrière des préjugés et des convictions. Quitte à prendre un bon coup sur la tête.

    Poutine de nouveau vainqueur, à défaut d'être réélu président

    Poutine aura donc tenu huit ans à la présidence de la Russie. Il se sera fait réélire une fois -limite autorisée par la constitution-, aura gagné toutes les législatives, et fait élire son successeur Medvedev, s'accaparant le poste de premier ministre par la même occasion. Avant de, pourquoi pas, briguer un nouveau mandat de président en 2012 - scénario plausible et constitutionnellement légal. Comment expliquer un tel succès et une telle omni-présence de la part d'un homme qui aura gouverné la Russie d'une main de fer pendant 12 ans (de 2000 à 2012), sinon plus ?

    Et là, pour nous, occidentaux, l'explication est claire. Tellement évidente que l'on s'engouffre sur cette autoroute de convictions et de certitudes, sans réfléchir, formatés que nous sommes par les médias et par notre orgueil culturel. Oui, bien sûr. Poutine a gagné grâce à la censure des médias. Oui, évidemment, il a muselé l'opposition. Et puis il a truqué les élections, aussi. Certes.

    Certes, la censure des médias n'est pas une nouveauté. La plupart des chaînes n'invitent pas de représentant de l'opposition lors des débats, débats qui n'ont pas pour habitude d'êtres contradictoires par ailleurs. Les seuls médias libres sont une ou deux radios à l'audience limitée, ainsi que quelques journaux aux audiences, elles, confidentielles. Sans compter les pressions exercée sur les journalistes indépendants, avec pour menace quotidienne l'emprisonnement et l'oubli en Sibérie, voire, pire, la mort. L'enquête sur l'assassinat d'Anna Politkovskaïa n'a certes pas démontré de lien avec aucune des cellules du pouvoir, mais quelle indépendance pour la justice dans la Russie actuelle ?

    Certes, l'opposition est muselée. Ecartée des médias, elle n'a que très peu de moyens de se faire connaître d'une population pauvre, mal éduquée et uniquement informée par la télévision. Et même lorsque des grandes personnalités comme le champion d'échec Gary kasparov s'engagent sur la voie d'un rassemblement populaire d'opposition impossible à contenir, le pouvoir parvient rendre impossible leur représentation aux élections - Kasparov a jeté l'éponge pour ne pas avoir réussi à trouver une salle où rassembler ses militants dans Moscou, condition nécessaire pour faire acte de candidature. Et lorsque c'est un oligarque qui décide de revendre une partie de ses actions pour s'investir en politique -dans l'opposition bien sûr-, il est bien vite condamné à quelques années de prison, dépossédé de son groupe et mis au secret dans une prison lointaine.

    Certes, les élections n'ont jamais été toutes claires. Lors des dernières législatives, Poutine a gagné en Tchétchénie à raison de 99%, score qui pourrait faire sourire si la guerre dans cette province n'était pas si « sale» (expression employée par Poutine lui-même). Quant à d'autres petites provinces, certaines ont voté pour Poutine à près de 102% ! Grossier, stupide et inutile flagrant délit de fraude électorale: Poutine aurait de toute façon remporté les élections.

    Et s'il n'était pas si illégitime que ça ?

    Nous voici donc à pleine bourre sur cette autoroute de nos certitudes occidentales formatées de pauvres petites vierges effarouchées. Poutine a donc gagné car détruit l'opposition, la presse, et s'est mis le puissant secteur industriel dans sa poche - condition nécessaire à la réalisation des deux précédentes, soit dit-en passant. Mais... et si Poutine avait gagné légitimement ? Et si Poutine avait gagné car les russes avaient voté sur lui ? Et si Poutine avait gagné car, supposition plausible à la lumière de la précédente, les russes l'appréciaient ? Et si Poutine était, en d'autres termes, l'homme que la majorité de la Russie souhaite voir à sa tête ?

    Loin de moi toute envie de tomber dans un discours libéral consistant à légitimer toute l'action d'un dirigeant légèrement despote et parfois sans état d'âmes, mais à évoquer le sujet avec des russes, des vrais, on s'aperçoit vite du manque de profondeur du raisonnement caricatural mis en avant dans nos sociétés fières et «développées».

    C'est qu'il faut prendre en compte les réalités de la Russie d'il y a vingt ans. De cette Russie pauvre, ruinée, obsolète, implosant à défaut d'exploser, et, surtout, humiliée sur la scène internationale après avoir régné un demi-siècle sur un bon tiers de la planète. Gouffre idéologique, gouffre financier et gouffre moral. Le capitalisme a pris le relai, affaibli encore plus le pays, créé des ecarts de richesses abîssaux entre paysans sans terre et nouveaux magnats du pétrole. Et surtout, forts de leur victoire de la Guerre Froide, les américains mettent en place une politique d'isolement de la Russie afin de la maintenir "down".

    Nous sommes aujourd'hui en 2008. Et, quoi qu'on en dise, la Russie d'aujourd'hui progresse. Certes, une partie de la population vit toujours dans la misère. Mais une puissante classe moyenne se développe, profitant du renouveau économique du secteur industriel russe. Au point que des entreprises russes -à l'instar de Gazprom- deviennent aujourd'hui des leaders mondiaux dans leurs secteurs. Et leurs richesses commencent à profiter aux russes. Sur la scène internationale, la Russie fait de nouveau peur. Le spectre d'une nouvelle morcellisation des sphères d'influence pèse de nouveau sur les politiques américaines et internationales. Et, lorsqu'elle le souhaite agir dans ses intérêts, la Russie peut jouer de différents modes d'action: du militaire (la démonstration de force sur la Place Rouge lors de l'intronisation de Medvedev en est une belle illustration) au financier (présence extraordinare et insoupçonnée en occident en terme de capitaux), en passant par les ressources naturelles (la rupture d'approvisionnement de l'oléoduc ukrainien en 2004 avait passablement gêné l'Allemagne) ou par les nouvelles technologies (hackers). Or c'est à la capacité de nuisance que se détermine l'influence d'un état. Ironie suprême: c'est par des pieds de nez constants aux institutions internationales, traités établis, et politiques préconisées par le FMI et la Banque Mondiale que Moscou s'est relevé aussi rapidement. La Russie de 2008 n'a plus rien à voir avec celle de 1991. Et c'est peut-être de ça aussi, que les russes ont besoin.

    A défaut d'y voir la «démocratie dirigée» que Poutine défend à couvert, le terme de «démocratie manipulée» utilisé par Jean Radvanyi paraît pertinent. Car, à priori, les dernières élections n'ont pas donné lieu à de nouvelles fraudes électorales. Car, à priori, les russes ont toujours leur droit de circuler, de commercer ou de voyager à l'étranger pour ceux qui le peuvent (mais leur nombre augment), d'éduquer leurs enfants aux quatres coins du monde, voire d'accéder à Internet. Un semblant de démocratie, donc. Façon inévitable d'accéder à la «vraie» démocratie, arguent les dirigeants russes. Façon la plus efficace aussi de replacer le pays sur la scène internationale, à la place qui devrait être la sienne. Sans vouloir légitimer Poutine, Medvedev et consorts, c'est tout un raisonnement sur la démocratie et la pertinence du «totalitarisme socialiste» qui pourrait être remis en cause, sur les bordures du moins.

    Si les russes ont voté Medvedev pour garder Poutine à la tête de l'état, alors je dirais bienvenue à Medvedev et bonne chance à Poutine. Je n'irai juste pas jusqu'être chaleureux, moi. Mais bon, chacun son truc.


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  • Commentaires

    1
    occidental formaté
    Jeudi 15 Mai 2008 à 00:31
    je m'effarouche!
    Désolé de faire ma "pauvre petite vierge effarouchée" mais le principe de la propagande n'est-il pas de répéter a outrance un message, en empêchant la contradiction de s'exprimer. Quand en plus les circonstances historiques aident (difficile de faire pire qu'avant; quand on part du chaos, les choses ne peuvent que s'améliorer) alors évidement on obtient une adhésion sincère du peuple a l'homme et au message. cela suffit-il a être légitime?
    2
    Jeudi 15 Mai 2008 à 10:01
    là..
    ..est toute la question, Sancho ;)
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